Une
personnalité politique éminente en Nouvelle-Aquitaine, lors de ses vœux à la Presse,
a dit : "Je regrette que le parti auquel j'appartiens n'ait pas
proposé une vision, une trajectoire de sortie de crise pour dire ce qu'est
l'espérance aujourd'hui, ce qu'est l'avenir." Je vais en reprendre le sens
et certaines idées.
Depuis
trois ans, c’est bien la question que je me pose. Pourquoi mon parti, seul
parti de gouvernement de gauche ne se pose plus les bonnes questions ?
Pourquoi n’est-il plus capable d’exprimer des visions d’avenir, d’espoir, de
société ? Pourquoi n’a-t-il plus de stratégie politique? Pourquoi est-il
inaudible? Où sont ces hommes et ces
femmes politiques qui ont fait sa force? Où est l’âme de Jean Jaurès, de Léon
Blum, de Pierre Mauroy ? Où sont les discours et les combats de François Mitterrand
pour l’Europe, les libertés et le progrès social ? Qui peut défendre l’abolition
de la peine de mort comme l’a fait Robert Badinter ? Qui peut avoir comme
Laurent Fabius la force et le poids politique d’instaurer et d’imposer l’impôt
sur les grandes fortunes alors qu’il est un jeune ministre délégué au Budget,
ou convaincre le monde de signer l’accord de Paris pour le climat, l’accord sur
le nucléaire avec l’Iran alors qu’il est Ministre des affaires étrangères ?
Qui peut penser défendre une logique de partage du travail avec le «passage aux
35 heures», comme l’a fait Lionel Jospin avec Martine Aubry (certainement trop
tôt et trop vite) ? Qui peut défendre les libertés d’expression mieux que
Jack Lang qui instaurera les « radios libres » et créera les espaces
d’expressions de notre culture, la fête de la musique, l’opéra Bastille, le
Grand Louvre, l’Arche de la Défense, La Bibliothèque Nationale ? La liste
est longue de ces combats gagnés par ces « gilets jaunes » du passé.
Ils sont nombreux à avoir porté des idées et engagé les réformes débattues et
construites au sein de ce grand parti de gauche que fut le PS avec Michel
Rocard, Jacques Delors, Henri Emmanuelli, Jean Auroux à qui nous devons les
lois travail portant son nom, Dominique Strauss-Khan, Hubert Védrine, Bernard
Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian, François Hollande. Tous ont compté et marqué
l’histoire politique de ce Pays.
Ils avaient tous un point commun : la volonté de créer une société meilleure,
plus juste et plus humaine.
Ils bâtissaient avec les militants et les élus la société du futur et les
conditions sociales du travail dans ce futur. Ils se sont battus dans
l’opposition et ont eu le courage de porter au gouvernement leurs idées et
leurs projets tant locaux que nationaux.
Mon parti a perdu sa force ! A t-il perdu les hommes et les femmes
qui constituent cette ADN du combat social ? Il a perdu le sens de la
réflexion qui anticipe l’avenir et donne de la force au combat. Il a perdu les
raisons mêmes de son existence.
Il n’est plus qu’un parti
d’opposition systématique et peu crédible, déconnecté des attentes de ses militants
et des électeurs. Il ne mobilise plus les forces vives qui existent toujours
dans ses rangs. Il ne fait plus rêver et ne donne plus l’espoir.
Les frondeurs ont détruit
les fondations et consumé l’énergie nécessaire au nouveau combat. Ils ont détruit
la confiance et fait taire ceux qui étaient encore capables de porter des
messages forts. Et après avoir fait fuir les anciens et renié le parti qui les
avait portés au sommet, ils ont quitté le navire et l’ont laissé sombrer dans
un silence assourdissant pour rallier des mouvements en quête de populisme.
Pourtant
ce parti il a une histoire, une idéologie, une culture du combat.
Il a ses principes de justice et d’humanité que nous défendons et que je
retrouve dans le discours de nombreux gilets jaunes qui ne croient plus aux
partis. Ce parti auquel j’appartiens est pourtant toujours capable de
comprendre à la fois l’entreprise et l’humain, l’urbain et le rural, l’écologie
et l’économie. Capable de réfléchir pour mener la lutte contre « les
inégalités » et contre « l’isolement ». Ce parti a une
expérience de démocratie participative organisée dans nos territoires. Il est
au contact des territoires avec des élus (Régionaux, départementaux,
municipaux) qui oeuvrent et sont à l’écoute de leurs administrés. Il connait
les ronds-points de France et les difficultés de gestion des budgets publics. Il
doit retrouver le chemin du mouvement et prouver qu’il est vivant, ouvert et
disponible. Le débat qui est en cours et le dialogue qui s’établit est une
chance pour un pays démocratique. Il est aussi certainement un point de départ
indispensable, au stade de rupture auquel nous sommes arrivés, pour
reconstruire. Le temps est venu de retrouver le chemin de la réflexion et du
débat en interne et au sein de la Gauche au risque de voir se concrétiser une
alliance des extrêmes nationalistes et populistes déjà en place en Italie, en
Pologne, aux Etats Unis ou au Brésil….
Les
bases de notre combat commun sont connues :
I/ plus de justice fiscale par une meilleure répartition de l’impôt, une
meilleure redistribution des richesses vers les plus pauvres et dans la
transparence II/ un accompagnement réfléchi de la transition climatique et
agricole pour défendre notre environnement et notre cadre de vie III/ un
soutien aux entreprises pour une meilleure compétitivité basée sur un capital
humain une indépendance technologique assurée face à l’impérialisme et aux dérives
possibles des grandes puissances mondiales IV/ protection des droits universels
à l’éducation, à la formation et à la santé V/ un équilibre affirmé entre le
monde rural et urbain V/ une « Europe puissance » pour la défense de
la paix, des peuples et des territoires. Cette Europe, il faut la vouloir et la
rebâtir.
Ces
bases ne seront pas partagées par tous. Seuls les populistes
peuvent laisser croire qu’ils pourront tout faire et répondre à toutes les
attentes. Certains ne voudront pas, ou voudront moins, d’Europe. Certains ne
voudront pas d’impôts nouveaux pour les plus fortunés, ni d’allègement pour les
classes moyennes. D’autres voudront abandonner les politiques actives pour une
transition climatique et agricole efficaces. Les plus dogmatiques demanderont la
suppression des aides de l’Etat à la recherche et au développement des
technologies de demain, que la formation et la santé ne soient plus financées
et que la croissance de nos métropoles continue au risque de générer l’isolement
des plus démunis, notamment des habitants du milieu rural…
Il faudra débattre,
arbitrer et combattre. Les plus extrémistes voudront revenir sur l’abolition de
la peine de mort, l’IVG, le mariage pour tous ... Il faudra que notre combat
retrouve tout son sens pour défendre les acquis, bien sûr, mais aussi pour
construire une autre société, celle du XXIème siècle. Et pour cela, nous devons
former les jeunes aux métiers futurs, investir dans des infrastructures indispensables
dans les cinquante prochaines années, créer les développements technologiques
et scientifiques nécessaires et simultanément établir des règles éthiques qui seront
nos outils et nos remparts.
Le
mouvement des gilets jaunes est l’expression d’un malaise, d’un mal-être profond
d’une société qui a perdu le sens de son histoire, de son existence et de son
futur. Il y a union dans la misère, la difficulté, la
désillusion ! Le rejet des partis, des élus, des syndicats et du système
démocratique. Et dans ces conditions, il n’y aura pas d’union possible et stable
dans les choix à faire et à venir. Des différences vont s’exprimer, des
divergences vont se structurer, des visions d’avenir vont naître et s’opposer.
Des mouvements vont se créer, l’expression va se structurer, des programmes
vont s’élaborer et des porte-paroles vont émerger. La démocratie ne peut
fonctionner qu’à ce prix. Et le vote qui est l’expression finale retrouver un
sens. Les représentants élus, parce que le système représentatif sera redéfini
et réaffirmé, devront aussi retrouver leur crédibilité par leurs paroles et
leurs actions.
Les
« partis » nouvelle génération seront aussi différents,
mais ne disparaîtront pas, parce que nécessaires dans une démocratie
participative nouvelle. Ils utiliseront les nouveaux moyens de communication et
des lieux de partage et d’expression réinventés. Un grand chantier et un
travail sur « le sens des choses » doit s’engager. Sans être excessif
je crois que le parti auquel j’appartiens va retrouver le sens de son histoire,
de ses racines, se nourrir des combats et des malaises actuels et redonner
espoir à une « République des idées ».
Le travail n’a de sens
que s’il créée de la valeur ajoutée, une vie meilleure et un environnement
protégé. Nous sommes nombreux à avoir les mêmes attentes. Le combat immédiat
qui doit être mené est celui de l’Europe. Ne soyons pas absents ! Démontrons
notre capacité à soutenir une Europe plus forte et plus démocratique au service
des peuples. Certaines idées qui s’expriment en France ces derniers mois
peuvent être pensées au niveau européen alors qu’elles seront toujours
difficile d’application au seul niveau national : l’impôt sur la fortune, une
politique de transition climatique et agricole positive, un salaire universel,
une protection susceptible de répondre aux agressions futures des nouvelles puissances
mondiales.
Mais
ces idées n’auront de sens que si elles sont portées par des mouvements et des
représentants qui auront clairement exprimé leurs positions et leurs programmes
avant d’être élus ! Bernard Cazeneuve peut être l'homme qui incarne ce mouvement, cet espoir, je le souhaite, je le lui ai dit.
Michel Durrieu