lundi 6 septembre 2010

Sommes-nous égaux face à la santé?

Détection et traitement du cancer, soins palliatifs, obésité, prévention et traitement du SIDA, accès aux meilleurs diagnostics et traitements, prix à payer pour les soins, droit de mourir dans la dignité… Comment pouvons-nous réduire les injustices face à la santé ? Quelle politique de santé Européenne voulons-nous?

Dans les enquêtes d'opinion, les citoyens européens placent la santé et la qualité des soins parmi leurs premières préoccupations.
Le domaine de la santé publique relève de la compétence des Etats membres, chaque pays conserve son propre système de santé et de protection sociale. Il est toutefois apparu nécessaire au fil des années que des actions soient menées au niveau communautaire, en complément des politiques nationales.

La santé est un débat de société structurant au même titre que l’éducation, la défense, le social, la monnaie unique… Il ne peut pas y avoir d’Union européenne forte et solidaire sans politique de santé commune.
Afin de bâtir un projet communautaire ambitieux, qui viserait à améliorer le fonctionnement et l’accès de tous à un meilleur système de santé, il nous faut faire un arrêt sur image, connaître l’historique européen et faire un état des lieux de la situation actuelle.

L’ambition d’une harmonisation des systèmes sociaux et de santé n’était pas absente de l’esprit des pères fondateurs de l’union. L'article 42 du Traité de Rome (1958) prévoyait un mécanisme permettant d'assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit : "la totalisation, pour l'ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales, le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des Etats membres". En application de cet article, le règlement 1408/71 organise le régime juridique applicable aux travailleurs migrants pour assurer la libre circulation de ces derniers et leur garantir un accès aux prestations. Le texte subordonne le remboursement de soins à la délivrance d'une autorisation préalable par l'administration du pays d'affiliation de l'assuré. Cette disposition vise à contrôler les flux de patients au sein des pays de la Communauté. Cet article n’avait pour but que de faciliter, le principe de libre circulation des personnes et de libres prestations des services, condition nécessaire à la réalisation du marché unique. Il a impliqué une nécessaire coordination des systèmes de sécurité sociale au sein de la Communauté. Cette avancée sociale dans le domaine de la santé a été uniquement obtenue dans le but de lever une barrière au développement économique en favorisant la libre circulation des travailleurs européens. Cependant cet article sera le fondement de la politique de Santé Européenne future.

En 1987, la santé fait son entrée dans l'Acte unique européen puis est confirmée dans le Traité de Maastricht en 1992, et développée dans l'article 152 du Traité d'Amsterdam de 1997 qui attribue comme objectif à l'Union européenne "d'améliorer la santé publique, de prévenir les maladies, de favoriser la recherche et d'informer le public". De plus, l’article 137.1 dispose que "la Communauté soutient et complète l’action des Etats membres" en matière de protection sociale. Enfin, l'ensemble des politiques communautaires doit désormais prendre en compte les exigences en matière de santé publique.
En 1999, la Commission et le Conseil soulignent que le fait d'assurer des soins de santé, durables et de qualité, constitue l'un des principaux domaines de la protection sociale dans lesquels un effort concerté de modernisation s’avère nécessaire.

Cependant, le Traité de Nice, en 2001, par l’article 137 alinéa 4, consacre "la faculté reconnue aux Etats membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale". Nous nous retrouvons ainsi dans une situation paradoxale, dans laquelle la bonne gestion des systèmes de santé relève de la pleine compétence des Etats Membres, et ce alors que les instances européennes ont consacrés ce domaine comme un terrain, si ce n’est d’intervention, pour le moins de coordination.

En mars 2002, le Conseil européen de Barcelone adopte trois principes fondamentaux pour la réforme des systèmes de soins: l'accessibilité pour tous à une haute qualité des soins, et une viabilité financière à long terme des systèmes nationaux. Il souligne également que tous les systèmes de santé de l'Union européenne reposent sur les principes de solidarité, d'équité et d'universalité. Le conseil de Barcelone lance ainsi le projet de la carte européenne d'assurance maladie, conçue pour remplacer tous les formulaires papier qui prévalaient jusqu’alors dans chaque pays européens.

En avril 2004, La Commission européenne commence à promouvoir une collaboration plus étroite entre les Etats membres en matière de modernisation des systèmes de protection sociale à travers l'UE, en lien notamment avec l'élargissement de l’UE aux 10 nouveaux entrants.

En 2008, le Traité de Lisbonne Article 95 – souligne que « toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales ». Un niveau élevé de protection de la santé humaine est ainsi assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union, quelque soit le pays de résidence des citoyens européens.

Nous constatons ainsi que malgré une évolution positive au sein des traités et des politiques, le bilan en termes de résultats s’avère pour le moment minimaliste. Les textes prévoient les modalités d’une coopération européenne accrue dans l’objectif d’harmoniser les systèmes de santé autour de principes de qualité et d’égalité d’accès. Or nous en sommes encore loin, principalement du fait des compétences pleines et entières des Etats membres dans ce domaine.

Nous n’avons pas toujours su articuler réponses nationales et solutions européennes alors que, au moins pendant un certain temps, une majorité de pays était gouvernée par des gouvernements de gauche qui érigeaient la santé publique au rang de priorité.

La santé aurait pu être prioritaire et une réelle politique de coopération mise en place au sein de la communauté européenne. Même si il semble y avoir une volonté commune de progresser dans ce domaine afin d’assurer une meilleure protection pour tous, les politiques de santé sont majoritairement resté de la compétence des Etats. Outre quelques aménagements, notamment à l’égard des citoyens se déplaçant dans un autre pays européen, il n’y a, pour l’heure pas eu de volonté politique de bâtir une stratégie commune. Les budgets alloués à la coopération dans le domaine de la santé restent insuffisants pour mettre en place une politique ambitieuse et efficace.

Nous nous limitons à une stratégie européenne de concertation pour faciliter plus avant la circulation des patients et des professionnels, simplifier les procédures et améliorer l'accès aux soins transfrontaliers et la qualité de ceux-ci. Mais nous ne sommes pas encore arrivés à définir et à garantir un certain niveau de soins à dispenser aux patients dans tous les États membres de l'Union quelque soit leur nationalité et leur lieu de résidence.

Le niveau des services de santé ne sont pas les mêmes en Pologne, en Espagne, en France ou en Angleterre. Nous savons tous qu’il existe des disparités de moyens financiers alloués, de capacités d’accueil des infrastructures, de formations, d’expertises…
Les systèmes de santé ne sont en rien comparables. Les structures privées et publiques ne sont pas homogènes d’un pays à un autre, d’une région à une autre, en milieu urbain ou en milieu rural. Le problème de la démographie médicale n’est pas traité à la hauteur des enjeux et les réponses proposées diffèrent d’un pays à l’autre. La répartition territoriale des professionnels de santé et des moyens est inégale.

Les remboursements des soins sont pratiquement illimités dans certains pays et inexistants dans d’autres. A titre d’exemple, nous pouvons attendre plusieurs semaines pour un examen en Espagne dans le secteur public et être reçu immédiatement dans une infrastructure privée. On peut se faire opérer en France et être sur une liste d’attente interminable en Angleterre. Les exemples de disparités sont nombreux et inacceptables.

En Espagne le service public, bien que d’un excellent niveau, est totalement saturé et sous équipé en terme de capacité d’accueil. Le système de Santé « privé» est réservé exclusivement aux bénéficiaires d’une mutuelle privée. La sécurité sociale ne rembourse aucun soin du secteur privé et les mutuelles ne couvrent pas les soins suivis dans le public. Les mutuelles ne sont pas des « complémentaires » mais des substituts. Ceux qui ont les moyens accèdent au secteur privé, les autres ne peuvent y prétendre. L’injustice est flagrante, elle peut être mortelle.

Il y a plusieurs niveaux de couvertures de santé par pays et autant de politiques de santé qu’il y a d’Etat membre dans l’union.

Depuis ces dernières années, le fait de faciliter la circulation des patients a eu pour conséquence de développer le marché du tourisme de santé. Il est devenu lucratif et il s’organise. La santé est devenue un marché concurrentiel. Un allemand va en Hongrie pour ses soins dentaires, un anglais s’il en a les moyens se rend en France pour se faire opérer plus vite. Les exemples sont nombreux. Pour avoir une couverture maximale, au meilleur prix, il faut avoir les moyens de payer, être informé et être mobile. L’injustice est totale. Les moyens financiers couplés au niveau d’information détenus par les patients sont déterminants dans la pratique qu’ils vont avoir des soins médicaux. La santé est traitée comme une marchandise ou il faut garantir le libre échange et promouvoir la concurrence. Pourtant, la Santé n’est cependant pas une marchandise ni un service comme un autre et ne doit pas être considéré comme tel. La santé doit être solidaire, efficace et universelle.

Il ne fait aucun doute que les Européens ne sont pas égaux face à la maladie. Au sein d’un même pays des disparités importantes existent, entre zones urbaines et zones rurales, entre un ouvrier et un cadre supérieur, entre celui qui a une mutuelle et celui qui n’en a pas les moyens,, entre celui qui connait un médecin et celui qui n’a aucun contact avec le monde hospitalier. La liste des injustices est longue. Ne laissons pas de nouvelles injustices apparaitre et essayons de faire disparaître celles qui existent. N’ayons pas peur d’imposer une couverture santé minimale en Europe. Ne laissons pas les Etats céder au secteur privé et à ses divers acteurs (laboratoires pharmaceutiques, fonds de pension détenant les cliniques, lobby industriel…) l’ensemble de la filière santé et osons redonner de manière efficace au secteur public les moyens dont il a besoin pour parfaire ces prérogatives au mieux. Ne laissons pas démanteler les services publics existants. Garantissons une couverture territoriale homogène sur l’ensemble des 27 Etats membres. La prise en charge des soins et des malades doit être une priorité pour l’Europe. Elle doit investir massivement des fonds spécifiques et structurels. Nous devons établir des critères de convergences et faire évoluer la couverture santé vers le haut. Il nous faut défendre un interventionnisme Européen.

Malheureusement, la présidence Espagnole de l’Union européenne (1º semestre 2010) n’a pas permis de grandes avancées, excepté dans le domaine des dons d’organes, et sur la volonté d’établir une nouvelle directive sur la pharmacologie, accompagnée d'un règlement renforçant la transparence, le contrôle et la communication sur la sécurité des médicaments.
La présidence espagnole de l’Union européenne, soucieuse de faire progresser la proposition de Directive sur la mobilité des patients, n’a fait que répondre aux inquiétudes des Etats membres du sud de l’Europe. En effet ces derniers ne souhaitaient pas devoir supporter le coût des soins de santé transfrontaliers de ressortissants d’autres Etats membres venus s’installer au soleil à l’âge de la retraite. En l’occurrence, ce sera à la sécurité sociale française et non à l’institution espagnole de prendre en charge les coûts des soins hospitaliers en France d’un retraité français installé en Espagne. Cet accord ne clarifie et n’améliore en rien les droits des patients. En particulier, il continu à ignorer la situation des patients seuls et âgés, résidants dans un pays européen, souhaitant subir une opération chirurgicale ou suivre un traitement hospitalier à proximité de leur famille en France.

Les Etats membres doivent être en mesure d’écarter tout protectionnisme et de défendre l’idée d’une Europe solidaire. La communauté doit promouvoir et garantir les transferts de moyens (matériels, technologiques et humains) et des savoir-faire. Il doit exister une volonté commune pour assurer le droit à la santé de qualité pour tous les citoyens européens.
Michel Durrieu