samedi 23 février 2019

Pourquoi le parti auquel j’appartiens n’a pas lancé le débat avant ?


Une personnalité politique éminente en Nouvelle-Aquitaine, lors de ses vœux à la Presse, a dit : "Je regrette que le parti auquel j'appartiens n'ait pas proposé une vision, une trajectoire de sortie de crise pour dire ce qu'est l'espérance aujourd'hui, ce qu'est l'avenir." Je vais en reprendre le sens et certaines idées.
Depuis trois ans, c’est bien la question que je me pose. Pourquoi mon parti, seul parti de gouvernement de gauche ne se pose plus les bonnes questions ? Pourquoi n’est-il plus capable d’exprimer des visions d’avenir, d’espoir, de société ? Pourquoi n’a-t-il plus de stratégie politique? Pourquoi est-il inaudible?  Où sont ces hommes et ces femmes politiques qui ont fait sa force? Où est l’âme de Jean Jaurès, de Léon Blum, de Pierre Mauroy ? Où sont les discours et les combats de François Mitterrand pour l’Europe, les libertés et le progrès social ? Qui peut défendre l’abolition de la peine de mort comme l’a fait Robert Badinter ? Qui peut avoir comme Laurent Fabius la force et le poids politique d’instaurer et d’imposer l’impôt sur les grandes fortunes alors qu’il est un jeune ministre délégué au Budget, ou convaincre le monde de signer l’accord de Paris pour le climat, l’accord sur le nucléaire avec l’Iran alors qu’il est Ministre des affaires étrangères ? Qui peut penser défendre une logique de partage du travail avec le «passage aux 35 heures», comme l’a fait Lionel Jospin avec Martine Aubry (certainement trop tôt et trop vite) ? Qui peut défendre les libertés d’expression mieux que Jack Lang qui instaurera les « radios libres » et créera les espaces d’expressions de notre culture, la fête de la musique, l’opéra Bastille, le Grand Louvre, l’Arche de la Défense, La Bibliothèque Nationale ? La liste est longue de ces combats gagnés par ces « gilets jaunes » du passé. Ils sont nombreux à avoir porté des idées et engagé les réformes débattues et construites au sein de ce grand parti de gauche que fut le PS avec Michel Rocard, Jacques Delors, Henri Emmanuelli, Jean Auroux à qui nous devons les lois travail portant son nom, Dominique Strauss-Khan, Hubert Védrine, Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian, François Hollande. Tous ont compté et marqué l’histoire politique de ce Pays.
Ils avaient tous un point commun :  la volonté de créer une société meilleure, plus juste et plus humaine. Ils bâtissaient avec les militants et les élus la société du futur et les conditions sociales du travail dans ce futur. Ils se sont battus dans l’opposition et ont eu le courage de porter au gouvernement leurs idées et leurs projets tant locaux que nationaux.  
Mon parti a perdu sa force ! A t-il perdu les hommes et les femmes qui constituent cette ADN du combat social ? Il a perdu le sens de la réflexion qui anticipe l’avenir et donne de la force au combat. Il a perdu les raisons mêmes de son existence.
Il n’est plus qu’un parti d’opposition systématique et peu crédible, déconnecté des attentes de ses militants et des électeurs. Il ne mobilise plus les forces vives qui existent toujours dans ses rangs. Il ne fait plus rêver et ne donne plus l’espoir.
Les frondeurs ont détruit les fondations et consumé l’énergie nécessaire au nouveau combat. Ils ont détruit la confiance et fait taire ceux qui étaient encore capables de porter des messages forts. Et après avoir fait fuir les anciens et renié le parti qui les avait portés au sommet, ils ont quitté le navire et l’ont laissé sombrer dans un silence assourdissant pour rallier des mouvements en quête de populisme.
Pourtant ce parti il a une histoire, une idéologie, une culture du combat. Il a ses principes de justice et d’humanité que nous défendons et que je retrouve dans le discours de nombreux gilets jaunes qui ne croient plus aux partis. Ce parti auquel j’appartiens est pourtant toujours capable de comprendre à la fois l’entreprise et l’humain, l’urbain et le rural, l’écologie et l’économie. Capable de réfléchir pour mener la lutte contre « les inégalités » et contre « l’isolement ». Ce parti a une expérience de démocratie participative organisée dans nos territoires. Il est au contact des territoires avec des élus (Régionaux, départementaux, municipaux) qui oeuvrent et sont à l’écoute de leurs administrés. Il connait les ronds-points de France et les difficultés de gestion des budgets publics. Il doit retrouver le chemin du mouvement et prouver qu’il est vivant, ouvert et disponible. Le débat qui est en cours et le dialogue qui s’établit est une chance pour un pays démocratique. Il est aussi certainement un point de départ indispensable, au stade de rupture auquel nous sommes arrivés, pour reconstruire. Le temps est venu de retrouver le chemin de la réflexion et du débat en interne et au sein de la Gauche au risque de voir se concrétiser une alliance des extrêmes nationalistes et populistes déjà en place en Italie, en Pologne, aux Etats Unis ou au Brésil….
Les bases de notre combat commun sont connues : I/ plus de justice fiscale par une meilleure répartition de l’impôt, une meilleure redistribution des richesses vers les plus pauvres et dans la transparence II/ un accompagnement réfléchi de la transition climatique et agricole pour défendre notre environnement et notre cadre de vie III/ un soutien aux entreprises pour une meilleure compétitivité basée sur un capital humain une indépendance technologique assurée face à l’impérialisme et aux dérives possibles des grandes puissances mondiales IV/ protection des droits universels à l’éducation, à la formation et à la santé V/ un équilibre affirmé entre le monde rural et urbain V/ une « Europe puissance » pour la défense de la paix, des peuples et des territoires. Cette Europe, il faut la vouloir et la rebâtir.
Ces bases ne seront pas partagées par tous. Seuls les populistes peuvent laisser croire qu’ils pourront tout faire et répondre à toutes les attentes. Certains ne voudront pas, ou voudront moins, d’Europe. Certains ne voudront pas d’impôts nouveaux pour les plus fortunés, ni d’allègement pour les classes moyennes. D’autres voudront abandonner les politiques actives pour une transition climatique et agricole efficaces. Les plus dogmatiques demanderont la suppression des aides de l’Etat à la recherche et au développement des technologies de demain, que la formation et la santé ne soient plus financées et que la croissance de nos métropoles continue au risque de générer l’isolement des plus démunis, notamment des habitants du milieu rural…
Il faudra débattre, arbitrer et combattre. Les plus extrémistes voudront revenir sur l’abolition de la peine de mort, l’IVG, le mariage pour tous ... Il faudra que notre combat retrouve tout son sens pour défendre les acquis, bien sûr, mais aussi pour construire une autre société, celle du XXIème siècle. Et pour cela, nous devons former les jeunes aux métiers futurs, investir dans des infrastructures indispensables dans les cinquante prochaines années, créer les développements technologiques et scientifiques nécessaires et simultanément établir des règles éthiques qui seront nos outils et nos remparts.
Le mouvement des gilets jaunes est l’expression d’un malaise, d’un mal-être profond d’une société qui a perdu le sens de son histoire, de son existence et de son futur. Il y a union dans la misère, la difficulté, la désillusion ! Le rejet des partis, des élus, des syndicats et du système démocratique. Et dans ces conditions, il n’y aura pas d’union possible et stable dans les choix à faire et à venir. Des différences vont s’exprimer, des divergences vont se structurer, des visions d’avenir vont naître et s’opposer. Des mouvements vont se créer, l’expression va se structurer, des programmes vont s’élaborer et des porte-paroles vont émerger. La démocratie ne peut fonctionner qu’à ce prix. Et le vote qui est l’expression finale retrouver un sens. Les représentants élus, parce que le système représentatif sera redéfini et réaffirmé, devront aussi retrouver leur crédibilité par leurs paroles et leurs actions.
Les « partis » nouvelle génération seront aussi différents, mais ne disparaîtront pas, parce que nécessaires dans une démocratie participative nouvelle. Ils utiliseront les nouveaux moyens de communication et des lieux de partage et d’expression réinventés. Un grand chantier et un travail sur « le sens des choses » doit s’engager. Sans être excessif je crois que le parti auquel j’appartiens va retrouver le sens de son histoire, de ses racines, se nourrir des combats et des malaises actuels et redonner espoir à une « République des idées ».
Le travail n’a de sens que s’il créée de la valeur ajoutée, une vie meilleure et un environnement protégé. Nous sommes nombreux à avoir les mêmes attentes. Le combat immédiat qui doit être mené est celui de l’Europe. Ne soyons pas absents ! Démontrons notre capacité à soutenir une Europe plus forte et plus démocratique au service des peuples. Certaines idées qui s’expriment en France ces derniers mois peuvent être pensées au niveau européen alors qu’elles seront toujours difficile d’application au seul niveau national : l’impôt sur la fortune, une politique de transition climatique et agricole positive, un salaire universel, une protection susceptible de répondre aux agressions futures des nouvelles puissances mondiales.
Mais ces idées n’auront de sens que si elles sont portées par des mouvements et des représentants qui auront clairement exprimé leurs positions et leurs programmes avant d’être élus ! Bernard Cazeneuve peut être l'homme qui incarne ce mouvement, cet espoir, je le souhaite, je le lui ai dit.    

Michel Durrieu